Un OVNI littéraire débarque à la rentrée 2024 : Marc Sinclair

Rencontre avec Marc Sinclair, un de nos futurs Goncourt ?

Suicide d’une masculinité toxique, de l’auteur Marc Sinclair, à paraître aux éditions Des Auteurs des Livres, est un ouvrage qui risque bien de faire sensation en cette rentrée 2024. Pour deux raisons : La première relève de son personnage principal, Daniel, autodestructeur, misogyne, aux pulsions sexuelles scandaleuses et outrancières, lancé dans une fuite en avant chaotique et destructrice. Un homme fou, exubérant, mais libre. Bref, un homme rare… La seconde tient du style paradoxalement grossier, mais d’une profondeur littéraire exceptionnelle qui nous amène à réfléchir sur nos traumatismes, bien souvent liés à l’enfance, et qui peuvent inconsciemment resurgir dans notre vie un jour ou l’autre, nous amenant à prendre des directions, comme celles de Daniel, déraisonnables, uniques et dévastatrices…

Dans « Suicide d’une masculinité toxique, » le personnage principal, Daniel, semble avoir un parcours de vie complexe, marqué par des rencontres significatives. Quelle a été votre inspiration pour créer un personnage aussi nuancé, et quelle importance ces rencontres jouent-elles dans sa transformation ?

*Votre première question parle de l’inspiration de mon personnage, ou plutôt, d’où me vient cette inspiration, rejoignant par-là, votre 6e question : à savoir que l’on ne peut s’empêcher d’imaginer que je suis peut-être en quelque part, un peu Daniel. Cette inspiration me vient donc de cette matrice, ce parcours de vie chaotique et tumultueux qui m’a permis d’en faire un matériau d’écriture certainement introspectif, sinon à tout le moins autofictionnel. Et ces « rencontres significatives » qu’expérimente Daniel ont souvent été le catalyseur d’une remise en question profonde de ses comportements personnels : la rencontre avec Claudia par exemple, et l’expérience transformatrice conséquente. Ou lors de sa rencontre avec Nathalie qui lui permet de s’engouffrer dans une vie hédoniste primaire, voire un nihilisme absolu conforme à ce qu’il a souvent été finalement.

Les voyages de Daniel le mènent en Floride, à Miami, à Paris, où il devient revendeur d’œuvres d’art. Ces étapes enrichissent le roman, permettant de voyager aux côtés d’un personnage en constante évolution. Mais peut-on parler ici plutôt d’une fuite, dans laquelle le personnage se laisse plonger dans des obsessions plus que malsaines ?

Vous parlez de voyages et d’endroits qui enrichissent le récit. Pour ma part, j’ai toujours cru que les romans où l’on voyage, dans le temps comme dans l’espace, font parfois de très bons romans. Comme Voltaire qui fait voyager sans arrêt son Candide autour du monde, mon personnage aussi voyage, et par n’importe où : dans des endroits mythiques comme le Miami Beach des années 90, le Paris des années 2000, l’Argentine et Buenos Aires également. Des destinations qui ont su fasciner un certain public avide de découvertes. Si en plus, ce parcours-géo correspond à mon propre parcours, eh bien pourquoi pas ? C’est pour ça que j’arrive avec tant de minutie à relater avec autant de détails la vie quotidienne et l’actu du moment. Il y a beaucoup de souvenirs persos qui permettent une élaboration détaillée du contexte de l’époque. Ce livre aborde donc le thème de l’errance, le thème de la ville, le thème de la mobilité sociale aussi, une sorte de récit initiatique si on peut dire. Mais peut-on parler ici plutôt d’une fuite, dans laquelle le personnage se laisse plonger dans des obsessions plus que malsaines ? Vous parlez d’une fuite. Et vous avez tout à fait raison. Moi je parlerais même d’une fuite en avant, sorte de va-tout de la dernière chance afin d’échapper à nos responsabilités. Et c’est exactement ce que fait Daniel : il reçoit un appel d’un ami, et tac, il s’engouffre dans la brèche ; un ami de Paris lui offre une occasion de combine, paf il embarque dans le train. Sans jamais vraiment se poser de questions, à part le fait « qu’il était grand temps ». Car en réalité, il vogue là où le mène son intérêt. C’est quelqu’un vivant une vie nihiliste et qui ne réfléchit pas. Et quel est ce programme nihiliste de Daniel ? Tout ce qui permet l’expansion et l’expression de son propre moi : la jouissance sans limite, la ruse, la rébellion, la transgression des règles, l’expérimentation de rapports sexuels hors norme, la prise de drogues diverses, mais surtout assouvir ses penchants, parce qu’il arrive toujours à se placer dans un contexte favorable. Puis à partir de Claudia, il conscientise la problématique du suicide, puis à partir de l’Argentine, ce sera celle de la pauvreté, puis à partir de Montréal, le suicide de Nelly Arcan vient lui ouvrir la boîte de pandore : ce sera le retour du refoulé, le souvenir enfoui de son agression sexuelle. En fait, tout le livre est la conséquence de cet événement cata, fondateur d’une vie disloquée.

Le rapport qu’entretient Daniel avec les femmes dans cette œuvre est plus qu’intriguant. D’une complexité psychologique, sordide et remarquable. Comment l’expliquez-vous ? Un personnage principal et invisible dans votre livre est Nelly Arcan qui disait : « Je pourrais vous décrire la beauté du monde si je savais la voir, mais je suis trop occupée à mourir« . Ces pulsions suicidaires ont eu raison trop tôt de cette écrivaine surdouée. Daniel est tombé à la renverse pour cette femme. Vous, l’auteur pourriez-vous nous parler de votre passion pour Nelly Arcan et d’ailleurs pour le marquis de Sade, autre personnage invisible du livre ?

Vous parlez de l’influence qu’auraient eue Nelly et le marquis sur moi comme auteur. Cette citation de Nelly que vous citez est tellement représentative de l’obsession de mourir, c’en est renversant. Elle dit aussi dans Folle : « Si tu avais voulu me tuer au chalet de mon grand-père, je t’aurais prêté main-forte ». C’est dire toute la puissance de son obsession, comme celle de Sade d’ailleurs, comme celle de Daniel aussi. Que ce soit la pulsion de mort ou la pulsion sexuelle, ce fioul permet d’aller puiser au plus profond de nous-mêmes afin d’en tirer le meilleur matériau possible. Sade est une sorte d’oracle pour moi, dans la mesure où il me permet d’en connaître toujours plus sur la laideur humaine, sur le tropisme masculiniste qui a su régir les rapports humains depuis la nuit des temps : une affection provenant de la nature immanente des choses pourrait-on dire, un déterminisme biologique faisant des hommes des masculinistes sans même le savoir. C’est une conséquence directe de la sélection naturelle, pourrait-on dire encore, et qui de mieux que Sade pour nous le révéler ? Son œuvre en est tapissée. Vous voulez connaître la laideur du genre masculin ? plongez dans Sade, tout est là. Il ne manque pas une virgule. Vous voulez connaître les tréfonds de la pulsion de mort ? plongez dans Nelly, tout est là aussi. Au fond, ces deux-là se rejoignent en quelque sorte, car l’identification masculine de Nelly découle de son impossibilité de s’identifier au féminin et à la mère, si ce n’est que comme larve. Elle écrit pour être homme, elle devient putain, emblème phallique par excellence. En fait, ces deux-là auraient vraiment mérité de se rencontrer. En tout cas, moi je les fais se rencontrer dans cette scène onirique au milieu du livre à travers leurs écrits respectifs. Quant à Putain, livre de référence s’il en est un, Daniel s’en accapare effectivement, mais pas pour les bonnes raisons. Il en fait une sorte de bible hédoniste lui permettant de se justifier tout au long de son parcours d’érotomane. Il puise dans ce livre des citations hors contexte qu’il fait siennes, qui le réconfortent dans ces certitudes. Puis à partir de la tentative de suicide de Claudia, il commence à percevoir, comment dire, une sorte de morale émergente de ce livre, une sorte de réconfort dans son apprentissage de l’affection traumatique. C’est pourquoi il a été à ce point sonné par le suicide de celle qui semblait être sa voie de compréhension vers une émancipation de ses démons. Le suicide revenait le hanter par la grande porte.

Comment ces expériences vont briser l’homme qu’il était avant, le remodelant autrement. Détruire pour reconstruire ?

L’expérience qui viendra le remodeler sera bien entendu le choc traumatique provoqué par la tentative de suicide de Claudia. Là, il remet tout en question. Dans un premier temps, il est si désemparé qu’il abandonne le combat et préfère se laisser choir jusqu’à fomenter des plans de suicide. Et lorsque le miracle arrive, c’est là que sa vie changera pour toujours. Un long parcours de reconstruction pourra commencer à travers l’amour absolu qu’il avait envers elle, et dont il n’avait jamais véritablement réalisé toute l’ampleur. Au fond, Daniel aspire peut-être à une certaine épuration de l’esprit, une certaine sainteté au contact du miracle, au contact de la sainte miraculée qu’est Claudia.

En refermant ce livre qui casse toutes les barrières de la bonne morale (et c’est tant mieux), on ne peut s’empêcher de poser cette question… êtes-vous Daniel ? Est-ce votre vie ? Et si oui, pourquoi cacher votre parcours qui finalement révèle une psychologie torturée, écorchée mais tellement attachante ?

 Revenons donc à votre question à savoir si je suis Daniel, et pourquoi cacher mon parcours. Peut-être que tout cela procède de la complexité des êtres, je n’en sais rien. En fait, je ne sais pas si je pourrais, là, me révéler tel que je suis vraiment, en dehors du récit. Je préfère me renfermer dans mon récit, mettre mon personnage à distance, en faire une sorte de double pas toujours commode autrement dit. C’est plus rassurant. Parce que ce livre n’est pas ma bio officielle, entendons-nous, mais il me représente en même temps. C’est déjà ça de pris. L’autre jour je lisais le journal de Julien Green et je tombais là-dessus : « j’ai relu ce que j’ai écrit de mon roman, comment ne verrais-je pas que c’est la transposition de ma propre histoire ». Je me suis dit, tiens ! j’en suis peut-être rendu là finalement.

Quel impact espérez-vous que votre roman ait sur vos lecteurs, en particulier sur ceux qui pourraient s’identifier à certains aspects du parcours de Daniel ? Enfin, avez-vous des projets futurs sur des thèmes similaires, ou envisagez-vous d’explorer de nouveaux genres ou sujets dans vos prochaines œuvres littéraires ?

En effet, quel impact pourrait avoir mon livre ? Je crois que le récit peut être une réflexion critique sur le masculinisme qui fait prendre conscience d’une réalité « au quotidien », chez Mr et Mme lambda. Prendre conscience d’un masculinisme qui se cache au tournant, là où on s’en attend le moins. On a trop souvent tendance dans les médias, à parler de ces questions qu’au travers des célébrités comme Harvey Weinstein, DSK ou même Depardieu. Mais ce sera bien plus dans ce quotidien banal que la femme est la plus vulnérable finalement, parce que la dernière chose qu’elle pense en entrant dans un hôtel lambda pour s’enquérir du prix d’une chambre, c’est d’être victime d’un acte d’exhibition non sollicité de la part d’un Daniel lambda. Et allons savoir, peut être que cette même femme continuera son chemin en expérimentant d’autres petites « anecdotes » de ce type : un commentaire salace sur la plage, une main furtive au popotin à l’apéro le soir, etc. Ce seront tous ces petits incidents qui s’accumuleront au fil du temps, des mois, des années, et qui aboutiront éventuellement à MeToo. Il ne faut pas se surprendre donc de voir le patriarcat vaciller sur ses fondements, comme il est dit dans l’épilogue.

Pour les hommes, ce sera un miroir de réalisme. L’occasion, autant que faire se peut, de prendre conscience de certaines dérives, de certains comportements récurrents que d’aucuns, comme Daniel, ont souvent commis dans leur vie, et dont la simple conscientisation est tout simplement impossible. Cela permettra peut-être une sorte d’aggiornamento des valeurs et des certitudes pour plusieurs d’entre eux. Il y a évidemment beaucoup d’hommes qui pourront s’identifier à Daniel.

Quant à mes projets futurs, je réfléchis à un livre qui s’inscrirait dans la même veine. Qui traiterait de ces questions masculinistes et autres rapports de domination, mais à travers un auteur connu, dont je préfère taire le nom pour le moment, et qui me permettrait en parallèle, de juxtaposer un parcours comme celui de Daniel avec le sien, me permettant ainsi de laminer au tournant, plein de choses relatives à ces questions intemporelles. Enfin, ce projet n’en est qu’à son début. Mon livre est terminé, il ne me reste qu’à l’écrire, comme disait ironiquement Jean Genet. Enfin, j’espère bien que ce projet aboutira.

L’ouvrage sera disponible en janvier 2024, en France aux éditions des auteurs des livres.