Un Été anglais, non seulement parce que c’est un roman de qualité, mais aussi parce qu’il nous permet d’aller à la rencontre d’un écrivain aussi attachant que discret : Marc Desaubliaux.
Comment un projet de livre prend-il naissance ? Comment gagne-t-il en consistance, peu à peu, pour progressivement acquérir une densité, rendre la fiction de plus en plus réelle et finalement s’incarner dans cet objet aussi singulier qu’ordinaire : un roman ? Pour répondre à cette question, il peut parfois s’avérer utile d’accomplir un détour par la personnalité et le parcours de son auteur, qui sont autant de clés pour appréhender, en profondeur, ce qui a permis à un livre d’accéder à l’existence.
La lecture d’Un Été anglais, le tout dernier roman de Marc Desaubliaux paru aux éditions Des Auteurs Des Livres, incite à ce genre de détour, tant il est imprégné d’un puissant parfum de nostalgie, et d’un souci du détail juste et vrai qui le rend intensément crédible. Le cadre : l’Angleterre de la fin des années 60, à une époque charnière où la Grande-Bretagne, encore toute imprégnée des atmosphères parfois surannées héritées de l’Empire, s’abandonne à la modernité des swinging sixties. D’une certaine manière, cette évocation d’une culture en partie révolue, évocation teintée de regrets, peut aussi se lire comme un autoportrait en creux de l’auteur lui-même. Marc Desaubliaux confesse en effet volontiers avoir fréquenté l’Angleterre de cette époque et à cette occasion avoir, à l’instar du jeune héros du roman, adoré sans réserves ce pays inconnu qu’il découvrait.
Comme son personnage Fabrice, qui prend physiquement contact avec l’au-delà du channel à l’occasion de l’un de ces voyages linguistiques qu’on a beaucoup pratiqués dans les familles françaises à compter des années 60 et 70, l’écrivain s’est délecté de tout ce qui faisait alors l’altérité anglaise. Les ambiances un peu fin de siècle de l’Angleterre d’alors, les manières élégantes et châtiées de la gentry britannique, sans oublier une langue pratiquée comme un exercice d’élégance. Et c’est bien sûr ainsi, comme le témoignage d’une admiration forgée une fois pour toutes, dans le respect absolu de la fidélité à l’éternel anglais, qu’il faut lire et comprendre le sous-titre du roman : « Le passé ne meurt jamais ».
Du coup, on se dit qu’aborder Un Été anglais, c’est aussi, d’une certaine manière, faire plus amplement connaissance avec Marc Desaubliaux. Entrer en empathie avec cet hommeréservé, avec ses expériences, sa fibre humaine.Marc Desaubliaux restera bien sûr trop pudique et trop épris de discrétion pour dire s’il a lui-même vécu, dans ses jeunes années anglaises, une éducation amoureuse telle que celle dont il tient la chronique, tout en subtilité charnelle, au long des quelque 330 pages du roman. Mais on sent néanmoins qu’à travers cette histoire d’une sincérité qu’on sent partout présente, cet homme se livre, indirectement. Et nous ouvre ainsi la porte sur sa sensibilité et l’intensité de ses émotions.
L’occasion, ce faisant, de saisir aussi un peu de l’élan qui a forgé sa vocation d’écrivain. Car il y a longtemps que Marc Desaubliaux écrit. Des décennies, en réalité. Pourtant, paradoxe, il est longtemps resté sans vouloir faire connaître au public ses premiers textes – roman, essai, nouvelle, récit, tous aujourd’hui repris, et c’est heureux, chez le même éditeur qu’Un Été anglais –, comme s’il avait voulu contenir les surgissements de sa plume jusqu’à être certain que la formule était au point.
La rencontre décisive de plusieurs professionnels de l’édition qu’il appréciait ou admirait a fini par changer la donne. Ils parviennent à le convaincre d’accepter de faire paraître son travail et ce sera Les Caves de Saint-Louis, premier roman d’un écrivain enfin assumé. Un autre titre, essentiel dans son parcours de romancier, ne tardera pas à suivre : Deux Garçons sans histoire, roman sensible sur la différence, si évident dans sa force élémentaire qu’il obtiendra le Prix Maestro en 2016. Marc Desaubliaux dès lors poursuit sur sa lancée et c’est Un Été anglais.
La différence ici est célébrée aussi, mais sur un autre mode, moins grave et moins pesant, puisque ce sont à la fois la différence de cultures et la différence des générations qui campent à l’avant-scène de l’intrigue. Fabrice, tout jeune homme à peine sorti des rondeurs de l’adolescence, fera en effet son éducation sentimentale grâce à son ensorcelante hôtesse anglaise de presque vingt-cinq ans son aînée, au fil de quelques trop courtes semaines d’un été 1968 qui restera gravé à vie dans leurs mémoires enfiévrées.
Aucune morale ni aucun jugement dans le récit de Marc Desaubliaux, simplement la chronique minutieuse de l’un de ces moments suspendus de l’existence, presque miraculeux, au cours desquels tout peut arriver. Simple, juste, vrai : irrésistible.