Dans ce texte dramatique, l’auteur livre le parcours de son héros — qui est également le narrateur de son histoire, au demeurant ordinaire, et pourtant très intéressante et intrigante.
Pour son personnage Jérôme Jauréguy, citoyen français divorcé, l’heure est venue de faire face à des accusations sordides, qui le mènent devant un juge, c’est-à-dire… Le lecteur ! En effet, l’originalité de ce récit de plus de deux-cents pages repose sur le rôle prépondérant du lecteur. Plus qu’un simple spectateur passif, il est la cible de Jérôme Jauréguy.
L’ensemble a été rédigé dans un style travaillé et élégant, avec un lexique riche et raffiné. D’ailleurs, l’auteur qui s’est probablement inspiré de Dostoïevski ouvre le livre sur une de ses citations. En résulte une œuvre à la fois onirique, poétique, pour aborder des sujets sensibles. L’entrée en matière est spectaculaire et dérangeante, car l’écrivain cherche à exposer la complexité de l’humain et les tristes conséquences de crises ingérables.
Par exemple, la riche famille de don Carlos, qui fait face à la mort d’un jeune enfant dans des circonstances étranges ou bien les déboires d’un berger qui maltraite ses bêtes en pleine tempête. Derrière ces tableaux qui ne le touchent pas directement, le narrateur se cache et se dévoile à la fois.
Le personnage se livre à un juge attentif, qui écoute toutes les idées qui traversent l’esprit dépressif de ce personnage qui n’a pas été gâté par la vie. Après un licenciement économique, Jérôme fait face à la rupture. Ainsi, sa femme et son enfant sortent de sa vie, tandis qu’il doit encaisser les coups durs de l’existence, y compris ceux qui ne le concernent pas.
Il semblerait que le narrateur de l’air du monde soit particulièrement empathique. Ce don à la forme de fardeau lui permet de comprendre en profondeur la souffrance de tous ces êtres qui ne sont pas « faits » pour rentrer dans les codes ou accepter l’impardonnable. Il l’exprime vraiment bien en évoquant la vie de Jean-Marie Mazou, un membre de la police qui abusait de son pouvoir, tout en entretenant un racisme bien intégré à la société. En tombant amoureux de Dorcas, il ne pensait pas que cela l’amènerait à se marier avec une prostituée immigrée…
En se confrontant aux destins tragiques des victimes d’un système qui ne peut endiguer ce phénomène ni le protéger, la perte est inévitable. Comment faire face à la dure réalité ? La dépression de Jérôme le pousse à se recroqueviller sur lui-même, victime de sa santé défaillante et de ses pensées parasitaires. Un jour, il adopte un chat qui flâne dans le coin et l’appelle Virgule. Tous deux se lient d’une amitié plutôt improbable, alors que le protagoniste continue de trouver refuge par-delà sa fenêtre. Son moment de répit, c’est ce lien si particulier qui l’unit aux enfants de l’école, juste en bas de chez lui.
Ses « mômes » ne le remarquent pas, mais il laisse de cadeaux, les amuse, tandis qu’il reste dans l’ombre. Finalement, ces agissements attirent la police qui finit par procéder à une réquisition à domicile. En plus, l’homme possède des photos… Est-ce réellement compromettant, quand on sait que ces enfants n’ont pas été prévenus et n’ont donc pas pu exprimer leur consentement ?
Au fond, le lecteur-juge fait face à un personnage plus complexe qu’il n’y paraît : « Vous comprendrez peut-être que mon existence, aussi abrupte soit-elle, est un beau sommet verdoyant au milieu d’un paysage aride », peut-on lire à la page 171.
En se confrontant à un personnage révolté et épuisé par les ténèbres qui envahissent les histoires de tous ces adultes en crise, le personnage de Jérôme incarne un discours idéaliste et positif quant au rôle des enfants. Ce sont des porteurs de vérités et de vie, là où le reste de la planète s’enlise dans une espèce d’oisiveté, d’ignorance et surtout de violence.
Enfin, le livre paraît comme une compilation de contes modernes, des fables qui comportent toutes une moralité. La plus frappante de toutes est sans doute la touche finale : le destin d’Ismaël, son fils, David et Leïla. De nombreux sujets d’actualités sont traités au sein de ce livre écrit avec douceur et âpreté, un cocktail ambigu où le désespoir mène souvent à l’irréversible.
Contrairement à ce que le synopsis peut laisser entendre, ce roman fictif offre un véritable moment d’évasion, du fait de ses multiples intrigues en interne. Certes, le propos de l’auteur concerne différentes problématiques bien réelles qui répugnent comme le terrorisme, les violences, les crimes et disparitions d’enfants… Le tout est écrit et traité avec une plume gorgée de poésie et une certaine humilité, qui rend le discours encore plus convaincant. Fort en symbolisme et osé, ce roman de Victor Kathémo est une prise de risque réussie, qui s’impose comme une bonne mise en scène d’un individu dépressif, à qui il manque suffisamment de soleil pour s’épanouir à la manière d’une fleur.
Le site de l’auteur : http://victor-kathemo.com/