Avec ce livre, vous voyagerez aussi bien dans le temps qu’entre l’Italie, la France et l’Allemagne. Plusieurs sentiments accompagneront votre lecture : si certains passages vous donnent envie de prendre votre voiture pour visiter Postua dans le Piémont italien, d’autres vous feront frémir d’horreur, avec des descriptions très réalistes d’un camp de travail forcé, par exemple.
Le résumé du roman pourrait s’avérer dense et lourd, mais les grands axes suivent la vie d’Ezio, depuis sa naissance jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cette aventure débute dans une famille italienne : la mère, Gesuina est pieuse et très courageuse. L’époux, Giovanni est un maçon ambitieux et productif. Le couple est séparé, puisque Monsieur doit se battre pour l’Italie, pendant la Première Guerre mondiale. Ezio n’est qu’un bébé.
Sans figure masculine, il le retrouve en 1918 et construit enfin un semblant de relation avec cet homme qu’il n’a jamais connu. Le petit grandit et devient un élève brillant à l’école. On lui refuse le prix cantonal, alors qu’il décroche son certificat d’études. Le motif ? Sa nationalité italienne. Cette première claque nous sidère, nous les lecteurs, et blesse profondément le jeune Ezio, qui perd son père, victime d’une hydrocution tandis que la famille jouait innocemment, profitant des premiers jours de vacances.
Violences et désillusions, le fils et la mère se battent du mieux qu’ils peuvent, dans une société qui considère cette famille comme des citoyens de seconde zone. Cette tragédie va insuffler à Ezio le désir de devenir médecin : une ambition qui ne le quittera pas et dont il va pouvoir jouir dans des conditions très spéciales. L’entreprise de maçonnerie du père est confiée à son équipe, très attachée au chef. Diplômé d’un brevet élémentaire supérieur, Ezio est brutalement rattrapé par la guerre, alors qu’il séjournait en vacances chez les siens en Italie. Enrôlement général, les frontières sont bloquées, il est contraint de traverser le pays illégalement, en contournant les routes par la Suisse.
Ce périple semble interminable : malgré des coups de sang au cours de ma lecture, je souffle au moment des retrouvailles entre la « mama » et son fiston, à la maison, à Terressauve. Pas de répit pour le pauvre Ezio, qui n’a pas le temps d’aménager son cabinet ! Le STO (Service du Travail Obligatoire) l’oblige à quitter la France pour l’Allemagne, fraîchement marié avec la douce Yolande. Le camp dans lequel il est envoyé subit une frappe aérienne impressionnante, il survit.
Malheureusement, le médecin est jugé coupable de sabotage et trahison. Le tribunal le condamne à 10 ans de besogne forcée, malgré un vibrant plaidoyer de son ami, Helmut Klotz, en faveur d’Ezio. La dernière partie du récit se recentre sur la vie pénible au camp, en l’attente de la libération. Quant à l’épilogue, il révèle le combat acharné qu’aura mené Ezio devenu papa, jusqu’au bout de sa longue vie, puisqu’il s’est éteint à 94 ans.
Le livre « Les 9 vies d’Ezio » est une lecture passionnante, mais inégale. J’en suis sorti soufflé et admiratif à la fois, par le parcours de guerrier d’un homme attaché à ses origines et qui a lutté, toute son existence, pour atteindre l’excellence, malgré un chemin de vie semé d’embuches. De plus, l’auteur ouvre une porte vers l’intimité de sa propre famille. On se sent donc très concerné par ce parcours émouvant, puisqu’en écho direct avec les conflits les plus meurtriers de l’Histoire. La fin du roman est précipitée, on aurait aimé en apprendre davantage sur cet Ezio libre, revenu malade du camp, mais enfin réuni avec les personnes chères à son cœur.
Des questions restent en suspens et me frustrent ! Cependant, j’ai été très touché par le contenu de ce texte. Comme d’habitude, je ne lis jamais les résumés des livres que je m’apprête à dévorer et j’ai bien fait, puisque la quatrième de couverture révèle tous les grands points essentiels qui sont abordés. Ce témoignage de vie qui semble exceptionnelle est en réalité une fenêtre ouverte, vers un cas de figure qui devait être répandu pour de nombreux étrangers qui ont travaillé en France et ont apporté leur savoir-faire à un pays qui n’était pas le leur.
Un récit typiquement européen, qui nous encourage à accepter son prochain et nous incite à l’empathie, la plus noble qualité des deux hommes forts de ce roman, c’est-à-dire Giovanni et Ezio. La cruauté de la guerre est décrite dans sa forme la plus simple, sans lyrisme malvenu. Le format abordable de ce livre pourrait tout à fait permettre une adaptation en série télévisée ou bien en film.
J’aurais aimé m’attacher à Ezio, autrement que par ses décisions et les épreuves traversées au cours de son existence : finalement, les émotions et les sentiments sont traités au second plan : par exemple, l’auteur annonce le mariage d’Ezio et de sa femme Yolande sans développement, ce qui peut surprendre et même un peu brusquer. Certains passages auraient pu être écourtés, tandis que d’autres auraient nécessité plus de détails et des informations supplémentaires sur la situation, afin que l’on puisse en saisir toute la subtilité.
« Les 9 vies d’Ezio » incarne un récit abordable pour toutes les générations, qui transmet un message de tolérance et d’ouverture sur le monde, dans un contexte historique délicat. Difficile de ne pas voir un écho très actuel avec le statut des immigrés en France, même en 2021. À la manière d’un avertissement, la violence décrite dans le texte nous semble tout à fait correspondre aux cauchemars que l’on cultive à l’égard de ces conflits meurtriers, à une époque où le racisme est plus que jamais décrié.
Ezio le médecin italien est le représentant de toute une catégorie de jeunes émigrés, qui ont refusé le fascisme là où d’autres l’ont applaudi et l’ont incarné. En accompagnant cet Ezio, qui semble être un membre de notre famille et joue le rôle de notre grand-père, qui a toujours des histoires de guerre à nous raconter, je me suis dit : « quelle(s) vie(s) bien remplie(s) ! Ezio est sans doute parti sans regret et sans remords. »
Jean-Marie Darmian – Site de l’auteur (jeanmarie-darmian.fr)