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- > Interview de Nabil Malek
- > Vous exposez avec une grande précision les arcanes politiques en RDA, le fonctionnement de la Stasi. Est-ce que ça vous a demandé beaucoup de préparation en termes de recherches historiques ?
- > Vous qualifiez Amin d’anti-héros, qui est-il vraiment ?
- > Si Amin est un anti-héros, qui est le véritable héros de ce roman ? Est-ce que c’est Léna dont l’ombre plane sur tout le récit ?
- > À la fin de votre histoire, c’est un volte-face général, les masques tombent les uns après les autres et les rôles de gentils et de méchants s’inversent, c’est le cas notamment avec Sigrun. Est-ce que c’est propre à cette période, à la RDA, de ne jamais vraiment savoir qui est qui ?
- > Pourquoi avoir choisi comme titre “Le Trille du Diable” ?
- > Il y a aussi dans ce roman toute une réflexion sur l’écriture. Amin s’en sert pour exprimer et se décharger de ses doutes, de ses traumatismes. Est-ce que c’est le but de l’écriture selon vous ?
Une plongée suffocante dans les méandres du régime communiste d’Allemagne de l’Est qui finira par broyer le jeune espion.
Interview de Nabil Malek
Votre récit se développe en grande majorité sous le régime communiste en RDA. Pourquoi n’avoir pas suivi le destin d’un Égyptien en Égypte ? Le pays a également subi de grands bouleversements politiques durant ces années.
Lorsqu’il perd la guerre de six jours en 1967, Nasser est convaincu d’avoir été trahi. Et en effet, l’affaire Ben Barka prouvera qu’Israël avait espionné la ligue arabe et connaissait absolument tous ses plans d’attaque. Nasser demande donc à ses alliés de l’URSS de l’aider à former ses hommes afin de monter un service de renseignements. De nombreux officiers Égyptiens sont alors envoyés en RDA, au sein de la Stasi.
Donc les deux histoires sont liées même si ce sont deux histoires parallèles. Le malheur de ces officiers c’est qu’un an après, Nasser meurt, Sadate prend sa place et il tourne le dos au bloc soviétique pour aller vers l’Amérique. Les officiers installés en RDA deviennent alors quasiment des ennemis pour leur propre pays. C’est le problème que rencontre mon héros, ou mon anti-héros, Amin El Foda qui réussit malgré tout à se faire une place au sein de la Stasi grâce à ses compétences.
C’est une histoire dans l’histoire qui méritait d’être racontée. Lorsqu’il finit par fuir pour regagner l’Égypte, il est l’espion parfait pour monter le nouveau service de renseignement égyptien et pourtant ce n’est pas lui qui est choisi. Celui qui prend sa place c’est son ami Shaker Ayoub dont j’ai déjà écrit l’histoire dans Le Dernier chrétien de Tahrir.
Vous exposez avec une grande précision les arcanes politiques en RDA, le fonctionnement de la Stasi. Est-ce que ça vous a demandé beaucoup de préparation en termes de recherches historiques ?
Énormément. J’ai fait deux ans de recherches et je me suis aussi rendu sur place pour vérifier les lieux. On ne peut pas décrire précisément un endroit sans y être allé. Et la difficulté avec la RDA c’est que lors de la réunification, beaucoup de choses ont disparu. Les marques de produits n’étaient plus là, les sociétés avaient racheté des tas d’hôtels, de restaurants, le paysage n’était plus le même.
L’avantage par contre, c’est que la Stasi notait tout et l’on a eu accès à tous ses documents. C’était aussi compliqué de faire parler les personnages. Je parle très bien l’Allemand donc j’ai pu regarder des émissions télévisées de l’époque, pour pouvoir voir comment les gens s’exprimaient. C’est très très difficile d’écrire sur un sujet si on n’a pas le contexte historique. Des amis journalistes m’ont d’ailleurs aidé à revérifier toutes les informations.
Vous qualifiez Amin d’anti-héros, qui est-il vraiment ?
Amin est quelqu’un qui, comme beaucoup de personnes dans la vie, a eu une cassure. C’est quelqu’un d’intelligent, c’est un officier égyptien, héros de guerre, hautement décoré, sélectionné pour devenir l’un des patrons du renseignement. Et il finit en Allemagne, au mauvais moment. Un an après, il devient persona non grata dans son pays qui a changé de camp et s’est tourné vers les Etats-Unis.
C’est la dissonance cognitive. Quand il finit dans cet hôpital psychiatrique, les questions qu’on lui pose sont terribles. On lui fait comprendre qu’il n’est pas adapté à ce pays, qu’il est musulman, qu’il n’a rien à faire avec une Allemande. Finalement, le sujet de ce récit c’est que cette Amin El Foda aurait pû etre quelqu’un d’exceptionnel mais qu’il est passé à côté.
Si Amin est un anti-héros, qui est le véritable héros de ce roman ? Est-ce que c’est Léna dont l’ombre plane sur tout le récit ?
L’héroïne du livre, c’est une femme mais ce n’est pas Léna, c’est Sigrun, son amie. On n’en parle pas beaucoup et pourtant, elle est absolument obsédante tout au long du livre. C’est celle qui fait sortir Amin de cet enfer, simplement parce qu’elle avait fait une promesse à son amie. Sans elle, il aurait croupi dans une prison et il serait mort.
À la fin de votre histoire, c’est un volte-face général, les masques tombent les uns après les autres et les rôles de gentils et de méchants s’inversent, c’est le cas notamment avec Sigrun. Est-ce que c’est propre à cette période, à la RDA, de ne jamais vraiment savoir qui est qui ?
Je pense que oui. En Europe de l’Est, tout était très caché car on ne pouvait pas dire les choses telles quelles. Est-ce qu’aujourd’hui c’est mieux ? Est-ce qu’on sait vraiment qui sont les gens ? Pas sûr. Lorsque votre situation change, les gens qui vous entouraient s’envolent souvent aussi.
Pourquoi avoir choisi comme titre “Le Trille du Diable” ?
Le Trille c’est un mouvement musical très rapide. Et le roman se lit très rapidement, le rythme est assez haletant. Quant au “Trille du Diable”, c’est une sonate de Tartini, un compositeur italien qui s’est endormi une après-midi et qui s’est réveillé en disant que le diable lui avait dicté le morceau.
Or, au temps de l’Allemagne de l’Est, les partitions musicales pouvaient servir à dissimuler des micro-fiches et elles permettaient de faire sortir des informations du pays en toute discrétion. Et puis, j’aime bien cette idée du diable car il y a dans cette période historique une quête du mal absolu, du mal qui envahit les nations. Comment la stasi a pu faire ces horreurs ? Comment les nazis ont-ils pu exterminer 6,5 millions de Juifs ?
Il y a aussi dans ce roman toute une réflexion sur l’écriture. Amin s’en sert pour exprimer et se décharger de ses doutes, de ses traumatismes. Est-ce que c’est le but de l’écriture selon vous ?
Quand on écrit, on écrit une représentation de soi-même. Le but c’est d’écrire pour se reconstruire, c’est ce que fait Amin en écrivant ses mémoires à la fin du livre. Et moi-même, j’écris pour me reconstruire, ça me permet de mettre les choses au clair, de prendre du recul. C’est en écrivant que j’arrive à cerner les choses. L’écriture c’est une exploration de soi par des effets de miroir et de variations.
Avec une précision historique implacable, Nabil Malek déroule un thriller haletant derrière le rideau de fer communiste et nous entraîne dans un jeu de dupes vertigineux.
Site de l’auteur : https://www.letrille-dudiable.com/
Propos recueillis par M. Bénézet.